CONTRE WASHINGTON, L’OTAN
ET LA FAUSSE « EUROPE » ATLANTISTE DE BRUXELLES :
AVEC MOSCOU POUR UNE AUTRE EUROPE,
GRANDE ET LIBRE, DE VLADIVOSTOK À REYKJAVIK !
Par
Luc MICHEL
Depuis
l’implosion de l’URSS, un « grand jeu » géopolitique se joue
sur tout le territoire des ex républiques soviétiques et aux frontières de la
Russie. Le but est
le contrôle des richesses énergétiques (pétrole, gaz, minerais stratégiques)
et de leurs voies d’acheminement. Mais aussi et surtout la domination en
Eurasie, dont les théoriciens de l’impérialisme américain, comme Brezinski
et son « Grand échiquier »,
font – avec raison – la clé de la domination mondiale.
LA POLITIQUE FONDAMENTALEMENT ANTI-RUSSE
DE WASHINGTON ET DE L’OTAN
Le
But : refouler la Russie, démembrer la Fédération russe (comme l’a été
la Yougoslavie, première étape de ce vaste projet impérialiste), dissocier
son noyau historique.
« Les
pays baltes déjà membres de l'OTAN, l'Ukraine et la Géorgie qui frappent à
la porte de l'OTAN, l'Azerbaïdjan en fera de même dans un proche avenir: bref,
on est en train de tendre autour de la Russie un "cordon sanitaire" à
l'instar de celui qui fut établi par la communauté mondiale dans le premier
quart du siècle dernier autour de l'Etat bolchevique qui venait de faire son
apparition »,
dénonce la NEZAVISSIMAÏA GAZETA de Moscou.
Brezinski
précisément publiait à la fin des Années 90 dans la prestigieuse revue américaine
NATIONAL REVIEW un plan de démembrement de la Russie en trois petits états (Moscovie,
Oural, Sibérie). Un air de déjà vu puisque c’était déjà le projet du théoricien
nazi Alfred Rosenberg, chantre raciste de l’expansion germanique à l’Est !
La
Russie – paralysée une décennie durant par ses dirigeants pro-occidentaux,
la clique des Eltsines, des politiciens libéraux et des oligarques qui
pillaient le pays –, a longtemps subit ce nouveau « drang nach osten »,
allant de recul en recul, ramenée sur ses frontières du XVIe siècle, perdant
territoires historiques (comme les pays baltes) et alliés.
LA
RUSSIE EST DE RETOUR !
Mais aujourd’hui, et c’est une révolution géopolitique, la Russie est de retour. Puissance énergétique mondiale, dotée d’un Etat fort restauré, fière de son passé qu’il soit soviétique ou russe, refusant la voie occidentale. « Après la disparition de l'Union Soviétique, la Russie n'a cessé un seul instant d'ambitionner sa restauration et, à l'heure actuelle, elle est en train de réaliser en quelque sorte ce plan », commentait le quotidien d’Azerbaïdjan AZADLIQ (29 novembre 2006).
Et les projets de Moscou révèlent la
puissance retrouvée du géant européen. « Les experts entrevoient
dans la politique du Kremlin des tentatives de créer une nouvelle alliance sur
l'échiquier de la CEI. "Contrairement aux projets des techniciens
politiques occidentaux, la Russie a non seulement préservé, mais aussi renforcé
son rôle de leader économique, politique et culturel dans les pays que Moscou
appelle gentiment "l'étranger proche"... Et si le Kremlin avait
une envie secrète de mener les processus d'intégration dans l'espace de la CEI
à leur fin logique, jusqu'à la création d'un nouvel Etat, d'une alliance à
la manière de l'Union européenne ? », interrogeait le quotidien
GOLOS ARMENII (7 septembre 2006).
UNE
« SECONDE EUROPE », UNE « AUTRE EUROPE » EURASIATIQUE SE
DRESSE
–
notamment le Belarus du Président Lukashenko, mais aussi la Chine, tourte aussi
inquiète des prétentions de Washington en Eurasie – se reconstitue un pôle
de puissance, géopolitique, économique et militaire, qui dresse à nouveau sur
l’Espace ex-soviétique une grande puissance capable de rivaliser avec
Washington et son bras armé colonial l’OTAN.
Autour
des organismes transnationaux qui se constituent autour de Moscou – Communauté
économique eurasiatique (CEEA: Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie,
Ouzbékistan, Russie et Tadjikistan), Organisation du
Traité de sécurité collective
(OTSC de la Communauté des Etats indépendants, alliance militaire du type de
l'Organisation du Traité de Varsovie), Organisation de coopération
de Shanghai (OCS : Russie, Kazakhstan, Kirghizie, Chine,
Tadjikistan et Ouzbékistan. Le Pakistan, l'Iran, l'Inde et la Mongolie y ont le
statut d'observateur, la Chine et la Russie y jouent des rôles clés), Espace
économique commun
(EEU, Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie et Tadjikistan) –, une
SECONDE EUROPE, une AUTRE EUROPE eurasiatique se dresse face à la Petite-Europe
atlantiste de Bruxelles prostituée aux USA.
Plus
personne ne conteste aujourd’hui cette thèse géopolitique, énoncée pour
la première fois par Jean THIRIART, le père de notre « Communautarisme
européen » dès 1964, selon laquelle l’Europe va de l’Atlantique
à Vladivostok.
C’est bien une seconde Europe qui émerge. Comme l’affirme aujourd’hui clairement le Président russe Poutine. Le récent article de Vladimir Poutine « sur le partenariat Russie-Union européenne » publié initialement dans le FINANCIAL TIMES a suscité de vastes échos dans la presse mondiale. Des paroles de Vladimir Poutine, on peut comprendre qu'un accord avec l'UE est son grand souhait. Par exemple, il est instructif de lire que, de l'avis de Poutine, « la Russie fait partie de la famille européenne ».
Cette
seconde Europe est, elle, indépendante des USA
à la différence de l’Europe-croupion – géant économique et nain
politique pour cause d’OTAN – de Bruxelles et Strasbourg.
UNE
SUPERPUISSANCE SE LEVE A L’EST !
Il
est significatif que les media de l’OTAN ne parlent jamais du nouveau bloc et
de ses organismes transnationaux qui se dresse à l’EST. Qui dans le public
ouest-européen a entendu parler de l’OCS, de la CEEA ou de l’OTSC ?
Il
s’agit de faire croire aux masses occidentales lobotomisées que l’Union
Européenne incarne seule le projet européen (sic) et que l’OTAN est le seul
bloc militaire tout puissant du nouveau siècle (resic).
Rien
n’est plus faux ! « Au-delà
des critiques objectives, la CEEA est aujourd'hui l'une des alliances régionales
les plus efficaces sur l'échiquier post soviétique… Le ralliement de l'Ouzbékistan
à la CEEA en janvier dernier et la reprise des négociations sur l'adhésion de
l'Ukraine permet de supposer que la CEEA succédera à la CEI. Et si la CEEA
s'unit avec l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC: Arménie,
Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizie, Russie et Tadjikistan), ce qui est fort
probable, on assistera enfin à la formation définitive d'une nouvelle
organisation internationale militaro-politico-économique… La Russie commence
ainsi à réaliser activement son propre projet d'intégration dans l'espace
postsoviétique, doté d'une forte composante militaire et renforcé de
subventions économiques réelles »,
commentait récemment le quotidien du Caucase LRAGIR (23 août 2006).
Quant
à l’OCS, elle est un bloc qui effraye Washington et l’OTAN. « A
l'échelle globale, c'est une association puissante. Les membres de
l'organisation occupent les trois cinquièmes du territoire de l'Eurasie,
comptent un quart de la population de la planète et ont un PIB total de 2500
milliards de dollars, commentait le VOENNO-PROMYCHLENNY KOURIER (11 octobre
2006). Compte tenu de l'adhésion possible de nouveaux membres, l'OCS
disposera de ressources humaines immenses (3 milliards de personnes), de la
moitié des réserves mondiales de pétrole et de gaz et de moitié environ du
potentiel défensif accumulé sur le globe terrestre. Outre l'intégration économique
(l'organisation projette la libre circulation des marchandises, des capitaux,
des technologies et des services d'ici vingt ans), non moins importante s'avère
l'intégration militaire (…) Réuni fin septembre à Pékin, le Conseil de la
Structure antiterroriste régionale de l'OCS a confirmé que les six pays
avaient institué leur organisation non seulement en vue du développement et de
la coopération économiques mais aussi pour assurer leur sécurité et
accomplir des tâches géopolitiques.
L'intégration militaire et la géopolitique énergique des six Etats de l'OCS a déjà "effrayé" les Etats-Unis au point que le sous-secrétaire d'Etat américain pour l'Asie centrale et l'Asie du Sud, Richard Boucher, a exhorté l'OCS, au nom de l'administration Bush, à renoncer aux déclarations géopolitiques pour se concentrer sur l'économie. L'OCS et les Etats-Unis et aussi, dans un certain sens, l'OTAN sont, déjà de fait, des rivaux géopolitiques ».
Ajoutons que l’OSC et l’OTSC mènent une politique d’intégration au niveau militaire. L’été prochain, ces deux organisations procéderont à leurs premiers exercices tactiques conjoints. « L'OTSC et l'OCS rassemblent presque la moitié de la population du globe. Par leur influence au sein de l'ONU et d'autres organisations internationales, elles peuvent rivaliser avec les Etats-Unis et les pays de l'OTAN, ce que beaucoup de responsables politiques des pays en question n'apprécient guère, analyse RIA NOVOSTI. Résultat: Bruxelles refuse toujours d'accepter la proposition de l'OTSC l'invitant à coopérer dans la lutte contre l'afflux de drogue afghane, même si beaucoup de pays membres de l'OTSC partagent une frontière commune avec l'Afghanistan, et que les efforts conjoints de l'OTAN et de l'OTSC seraient plus utiles que les actions disparates. Toujours est-il que l'OTAN ne considère pas l'OTSC comme un partenaire égal. Or, Moscou s'en soucie peu ».
Au
début des années 80, avec Jean THIRIART, je lançais l’ « Ecole
Euro-soviétique », qui prônait l’unification – contre les
USA et l’OTAN – de la Grande-Europe d’Est en Ouest, l’URSS devenant le
Piémont d’un « Empire Euro-soviétique », une thèse qui
a fait depuis beaucoup de chemin à l’Est.
Notre
soutien à Moscou, Piémont de l’Autre Europe, est l’adaptation de cette thèse
fondamentale aux conditions géopolitiques du nouveau Siècle. Aujourd’hui la
Russie, comme jadis l’URSS, est la seule puissance européenne réellement indépendante
de Washington, la seule à mener une politique indépendante, réellement
eurasienne et non pas atlantiste.
En
Europe de l’Ouest, une autre puissance, la France, a encore des velléités
d’indépendance sporadiques, lorsqu’elle se souvient de la grande
politique anti-atlantiste – et déjà pro-russe – du Général De Gaulle.
Mais la France post-gaulliste est un état schizophrène, paralysé par de
puissants lobbies étrangers, où cohabitent des pulsions gaullistes et des états
de soumission à l’Atlantisme (comme au Liban et en Syrie, où la France,
jouant contre son propre intérêt, porte les valises néocolonialistes de
Washington et Tel-Aviv). Les dirigeants français – les Chirac, Villepin,
Sarkozy (le petit Bush français) – ont depuis longtemps trahit le Gaullisme.
Prétendre le contraire est une escroquerie politique.
Un
Axe Paris-Moscou – que nous prônons – n’existera réellement
que si la France se souvient de De Gaulle et rompt avec l’Atlantisme. Nous en
sommes fort loin. Reste donc Moscou et le bloc qui s’organise autour d’elle.
RETOUR
A LA GUERRE FROIDE
Entre
ces deux blocs, qui sont de facto des rivaux géopolitiques, s’esquisse une
confrontation de plus en plus ouverte.
Les analystes parlent ouvertement, et avec raison, de « retour à la
Guerre froide ».
« Les conflits qui éclatent pour diverses raisons avec les plus proches voisins (les pays baltes et ceux de la CEI), et sur de nombreux problèmes avec les Etats-Unis, les pays et les structures de l'Union européenne sont devenus ces derniers temps une constante de la politique étrangère russe. Ces conflits sont interprétés à l'intérieur du pays comme un témoignage du retour de la puissance d'antan qui semblait être perdue à jamais », commentait récemment le quotidien russe KOMMERSANT.
En réponse à cette situation de crise, le ministre russe de la Défense Sergueï Ivanov a proposé de diviser le monde entre l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et l'OTAN. Selon lui, « la mise au point d'un mécanisme de coopération entre l'OTAN et l'OTSC, puis la délimitation nette des sphères de responsabilité, contribueront au renforcement de la sécurité internationale ». « La proposition de Sergueï Ivanov ramène à l'époque de la confrontation entre l'OTAN et les pays du Pacte de Varsovie », ajoute KOMMERSANT.
A Washington, les faucons yankee recherchent la confrontation. Le sénateur américain Richard Lugar a tenu des propos dans l'esprit de la « guerre froide » à l'adresse de la Russie, l'accusant de ne pas vouloir partager sa souveraineté énergétique. Cependant, l'un des objectifs principaux de l'OTSC est d'assurer la souveraineté énergétique des pays membres de cette organisation. Le très influent sénateur républicain Richard Lugar, président du Comité sénatorial des affaires étrangères, a déclaré que le bloc militaire de l'OTAN devait se tenir prêt à réagir à une « attaque » et à un chantage avec utilisation de l'énergie en tant qu'arme de la part de pays comme la Russie. « L'utilisation de l'énergie en tant qu'arme n'est pas une menace théorique de l'avenir : elle est déjà en cours », a affirmé M. Lugar à Riga, ce 28 novembre 2006, à la veille du sommet de l'OTAN. Selon le sénateur yankee, « la suspension par la Russie des livraisons de matières énergétiques à l'Ukraine a témoigné d'une tentation de se servir de l'énergie en vue d'atteindre des objectifs politiques ». « La Russie a abandonné la confrontation après une réaction sévère de l'Occident, mais quelle aurait été la réponse de l'OTAN si la Russie avait maintenu l'embargo ? », a demandé le sénateur américain, avertissant que, dans ce cas, « l'économie et les forces armées ukrainiennes auraient été sapées sans coup férir, et le danger et les pertes essuyées par plusieurs pays de l'OTAN auraient été considérables ».
« L'OTAN doit déterminer les mesures à prendre si la Pologne, l'Allemagne, la Hongrie ou la Lettonie faisaient l'objet de la même menace que l'Ukraine », a martelé Richard Lugar, invitant à étendre au secteur énergétique le « chapitre 5 » des statuts de l'OTAN qui précise qu'une agression contre un membre de l'Alliance équivaut à une agression contre le bloc militaire tout entier. « Puisqu'une attaque avec utilisation de l'énergie en tant qu'arme peut ruiner l'économie d'un pays et faire des centaines, voire des milliers de victimes, l'Alliance doit prendre un engagement selon lequel la défense contre une telle attaque rentre dans le cadre du "chapitre 5", a poursuivi le président du comité sénatorial, soulignant que, dans les conditions actuelles, un conflit énergétique équivalait à un conflit armé. Cela ne fait pratiquement aucune différence quand un membre (de l'OTAN) est contraint de se soumettre à la volonté d'autrui à cause d'une coupure d'énergie ou quand il se heurte à un blocus militaire ou à une démonstration de force à ses frontières », a-t-il dit.
« Acceptant la démolition du mur de Berlin, la Russie espérait que l'OTAN tiendrait ses promesses de ne pas s'élargir à l'Est, mais les anciens membres du Pacte de Varsovie et les pays baltes ont adhéré à l'Alliance. Réagissant aux notes de confrontation qui pointent dans les rapports avec l'OTAN, Moscou propose à l'Alliance de l'Atlantique Nord un nouveau format des rapports en Europe. L'OTAN voudrait continuer à s'étendre en admettant de nouveaux Etats de la CEI (Communauté des Etats indépendants). La Russie s'y oppose activement. Les démarches diplomatiques n'y font rien. Il ne reste guère que l'alternative de mesures violentes », avertit encore KOMMERSANT.
L'opposition des blocs dans l'esprit de la « guerre froide » doit dissuader certaines républiques post soviétiques d'adhérer de façon précipitée à l'Alliance. VOILA POURQUOI L'OTSC – « ce nouveau Pacte de Varsovie » dixit KOMMERSANT – DEFINIT CLAIREMENT SA PLACE EN EUROPE. Ce bloc compte, parmi ses alliés potentiels, les pays d'Asie faisant partie des Six de Shanghai, avant tout la Chine, qui représente une force imposante dans la compétition avec l'OTAN.
(...)
(Article
publié initialement dans LA CAUSE DES PEUPLES, Bruxelles-Paris, n° 31, décembre
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